Like a romantic drama Sarah's life unwound its red carpet under its steps

Assise devant ma coiffeuse, j'observais longuement les traits de mon visage. Presque invisibles, gommés avec soin par de la base incolore, du correcteur, du fond de teint, et de la poudre libre. On aurait dit qu'à ma place se trouvait une poupée de porcelaine. Aucun défaut, aucun pli, aucune trace. Un travail remarquable qui pourtant avait le don de m'angoisser. Comment pouvait-on apprécier le fait de ne pas avoir de relief sur le visage ? Mes lèvres, bien sculptées, étaient légèrement colorées par un gloss rosé parfumé à la fraise. Je passais ma langue dessus histoire de pouvoir goûter à ce fruit, qui me donnait tant envie. Mon nez, droit, fin, et légèrement retroussé s'accordait parfaitement avec mes petits yeux pétillants et espiègles de couleur bleu. Mon visage est fin et allongé, encadré par une masse de boucles blondes parfaitement dessinées.

Mon regard s'abaisse, je ne suis pas très épaisse. Je dois peser au maximum cinquante trois kilos pour un mètre soixante quinze. Je suis plutôt grande si vous voulez mon avis. Ma taille rivalise avec celle des mannequins professionnels, et j'en suis assez fière. Mes formes sont affirmées, et je n'ai pas à me faire de soucis quand au fait de plaire à la gente masculine. En ce qui concerne mes vêtements, je suis plutôt classique, de toute façon, je n'ai pas souvent l'occasion de porter mes propres vêtements. Pendant que je m'observe, autour de moi, les gens s'agitent. Un regard en arrière, un sur la gauche, puis un sur la droite. Quelqu'un s'avance vers moi, il me dit qu'il est l'heure de me préparer. Je lui souris et entre dans la cabine histoire de passer d'autres vêtements, et d'oublier qui je suis afin de devenir celle que je devais être.

Saucissonnée dans un corset qui remontait exagérément ma poitrine, m'empêchant par la même occasion de respirer. Mes bas en flanelle enjolivés par des rubans me chatouillaient légèrement les mollets, provoquant en moi quelques frissonnements qui remontaient le long de mon dos. Par dessous tout cela, une robe de l'époque victorienne ou plutôt moyenâgeuse, d'une beauté à couper le souffle. Mes cheveux, ondulés, étaient remontés en une sorte de chignon, retenus par un diadème en argent parsemé de petits cailloux scintillants. Je passais mes mains sur le bas de ma robe, observant avec attention mon reflet dans le miroir. Juliette, hier, j'avais été dans la peau de Juliette.

Aujourd'hui je suis coiffée d'une natte qui tombe au creux de mon cou. Un tee shirt rayé bleu marine et blanc un peu trop grand. Un vieux jean délavé légèrement trop grand, ainsi qu'une paire de baskets premiers prix. Autrement dit, je n'ai rien d'exceptionnel, je suis juste une fille banale, ayant une vie banale, et qui vivrait probablement toute sa vie de la manière la plus banale possible. La seule chose qui me plaisait pour aujourd'hui, c'était que je jouais dans mon premier court métrage, et cela montrait qu'on reconnaissait mon talent. Rien de bien original, on ne voyait pas ma beauté physique, on ne me donnait pas la chance d'être désirable, néanmoins, j'allais certainement me faire connaître...

Demain ? Je serais peut-être une pirate, arborant pantalon, grande botte, chemise bouffante et chapeau en cuir. Ou alors je serais encore une fois une princesse, ou un Diva, je serais peut-être une cherleader, ou une surdouée. Un médecin, une infirmière, un professeur, une bibliothécaire ?  Tout un choix de costume et de style s'offraient à moi. Je n'avais qu'à tendre la main pour saisir ce que je désirais être.  

On m'a toujours dit que pour être bien dans sa peau, et bien dans sa tête il fallait savoir reconnaître ses qualités et ses défauts. Pour ma part je ne sais pas trop les différencier, et pourtant, je ne me sens pas plus mal que les autres. Peut-être est-ce parce que je suis dotée de la faculté de pouvoir décider de comment je suis ? Après tout, à quoi bon étudier dans l'une des plus prestigieuse école de Londres si c'est pour ne pas choisir qui l'on voudrait être.

Principalement, je dirais que ce que je préfère comme trait de caractère c'est...

Déjà le fait d'être lunatique. En étant ainsi, je peux jouer plusieurs rôles, changer d'humeur quand bon me semble, de la colère à la joie, de la joie à la tristesse, de la tristesse au dégoût. En suite, j'aime être charmeuse, j'aime le fait de plaire, attirer les regards, j'aime être au centre des attentions. Mais ce que j'aime par dessus tout, c'est d'être caressée par le regard insistant de mon cher et tendre Kenneth.
J'aime également être gentille, car mine de rien, les gens gentils sont toujours plus appréciés que les salopards de premier ordre. Honnête, je ne peux que l'être, car haïssant les lâches, les traîtres et les menteurs, je ne pourrais pas faire aux autres ce que je n'aimerais pas que l'on me fasse.

Je suis également assez réservée généralement, c'est pour cela que j'aime autant la scène, cela me permet de dépasser mes limites, de passer outre ma timidité.

Ce que je n'aime pas par contre, c'est que je suis assez émotive, voire même une hypersensible. Je pourrais très bien fondre en larmes uniquement parce que j'ai vu un lézard écrasé contre le trottoir.
Dans le domaine du privé, je peux très bien devenir agressive, après tout, je suis une femme, et une femme, c'est bien connu... il y aura toujours un moment où ça explosera. Une bombe à retardement, voilà ce que j'étais. Jalouse, je le suis également, quelle femme ne le serait pas après tout. J'étais certaine d'avoir trouvé le bon, comment pouvais-je ne pas avoir ce trait de caractère ?

Dit comme ça... évidemment, cela parait peut-être, et même probablement assez brouillon. Cependant, le fait est que je ne pouvais pas uniquement dire ce que j'avais envie de dire sur ce qu'il y avait dans mon esprit. Je suis dans une sorte de brouillard permanent, partagée entre plusieurs envies, entre plusieurs interprétations, entre plusieurs versions de moi-même que j'avais patiemment travailler durant plusieurs années. De ce fait... Comment peut-on savoir lorsque je suis la réelle moi ?

  

Dans chaque famille, il y a une particularité. Cette particularité peut être la richesse, l'unité, la pauvreté, la solitude, ou même le sport. Dans ma famille, la particularité est l'Art. Chaque membre ayant trouvé sa passion dans ce domaine, nous étions une famille d'artistes. Mon père c'était le dessin, il passait tout son temps libre à faire des esquisses au fusain. Ma mère jouait du piano à la perfection, et parfois le soir, lorsque nous rentrions épuisées de notre journée de cours, mes sœurs et moi nous entendions la douce mélodie d'encouragement qu'elle jouait sur le piano à queue du salon. Chloé, la plus petite de mes sœurs, avait héritée d'une passion presque obsessionnelle pour la peinture. Sa chambre était entièrement recouverte de peinture, telle une toile, elle avait fait de son antre une œuvre d'art. Jade, quant à elle, préférait tapoter sur sa vieille machine à écrire des heures durant. Désirant devenir romancière, elle passait ses journées à rédiger des pages et des pages pour son premier roman. Jenna, quant à elle, était depuis petite, une fane de rock n' roll et passait le plus clair de son temps à pincer et érafler les cordes de sa guitare. Quelques fois, je m'étais aventurée dans le monde de ma sœur afin de pouvoir tenter de comprendre sa passion pour cet instrument, et je devais dire que j'étais ma foi satisfaite et fière lorsque quelques notes sortaient de l'instrument que je tenais entre mes mains.
Cependant, mon monde à moi n'était pas celui de la musique, mais plutôt celui de la scène. Détestant être "juste" moi-même, comme si jamais cela n'avait été suffisant, je m'étais retrouvée éprise d'une passion maladive pour le théâtre et la comédie. Subjuguée par le pouvoir de devenir quelqu'un d'autre un court instant, il m'était devenu vital de le faire le maximum possible. Devenir un peu moins moi était devenu le but ultime, le point G de ma vie. Vivre à travers mes interprétations étaient devenus pour moi une source de bonheur que je n'aurais jamais pu expliquer. Comme un super héros, je changeais de costume et d'identité. Et la première fois où je fus derrière une caméra, je ne vis plus rien de la même façon. En voyant les images, j'avais du mal à comprendre que la fille blonde à l'écran... c'était moi.



Huit heures du matin, direction les Etat-Unis. Je n'aime pas les voyages scolaires, je trouve que c'est une perte de temps et d'ailleurs... c'est évidemment le cas. Je pars pendant une semaine, et c'est une semaine sans les caméras rivés sur moi. Durant le trajet, j'écoute la musique et patiente sagement alors que nous survolons l'océan. Je devrais être heureuse pourtant, car nous allons visiter Hollywood, mais non. Je n'ai pas envie de rencontrer les célébrités. J'en ai rien à foutre des gens, ce qui m'importe pour le moment c'est moi... et ma carrière.
Ma première journée fut sous le signe de l'ennuis. Visiter un plateau de tournage est loin d'être excitant, peut-être parce que je n'ai pas le droit de jouer dans l'une des scène que nous regardons. Je ne comprend pas, je devrais être heureuse pourtant, les gens normaux sont heureux dans de telles circonstances ! Mais peut être que mon égoïsme est trop sur-dimensionné pour se contenter de si peu.
Deuxième jour, Hollywood Boulevard, je mange une glace, restant à l'écart du groupe. J'ai pas envie de savoir qui a foutu sa patte dans le ciment. Moi je veux juste rentrer à la maison et préparer mon rôle. Dans un mois, j'ai la première de Roméo et Juliette. C'est alors que de l'autre côté du trottoir, j'aperçois un mec qui me regarde. Je lèche ma glace sans le quitter des yeux. " Il me veut quoi lui ?" J'ai pas envie de rencontrer qui que ce soit, et pourtant, je m'approche. Mes yeux se posent sur mon visage, et son regard transperce le mien. Je ne sais plus quoi dire, il sourit, et se présente. Kenneth. Je ne peux m'empêcher de sourire, je reste coite. Comme si je ne pouvais plus parler. Après quelques minutes, je me présente à mon tour. Nous nous serrons la main, et là, le néant... comme si tout venait de s'arrêter, et que tout venait de disparaitre. Mon coeur également, il venait de sauter un battement. Je rougissais, je sentais la chaleur me monter aux joues. J'ai peur, qu'est-ce qu'il m'arrive.

Quelques mois après ce fameux voyage, je correspondais toujours avec Kenneth. Il me manquait, éperdument. Je ne sais pas très bien où allait mener cette rencontre, mais j'avais l'impression d'avoir trouvé celui qui me semblait être celui que j'attendais depuis toujours. Je le voulais à mes côtés durant ma montée vers le sommet. Ainsi que pour le reste de ma vie. Notre relation dura quelques temps ainsi, avec des promesses et des larmes. La promesse de se revoir vite, les larmes de désillusion lorsque je m'apercevais que nous ne le pouvions pas. La promesse du "je t'aime" qui signifiait beaucoup. Les larmes du " Je n'en peux plus de cette distance, je ne sais pas si je pourrais vivre ça longtemps". Notre histoire était vouée à l'échec, et ça, nous le savions tout les deux.

Mais l'amour est plus fort que tout n'est-ce pas ? J'ai bien envie de dire oui. Car quelques mois plus tard, pour nos un an, il vint me rejoindre en Angleterre. Kenneth et moi, c'était reparti. Espérant ainsi rattraper le temps perdu.



- Numéro 78, Sarah Joni Fitz !

Je me redresse, c'est enfin mon tour. J'attend ce jour depuis si longtemps, mes mains tremblent, et j'ai peur de ne pas tenir assez fermement mon micro. Je le sens glisser dans mes mains moites. J'ai peur d'oublier mon texte, de rester tétanisée devant le jury. La porte des coulisses s'ouvre, laissant entrer mon prédécesseur, il est rouge, dégoulinant de sueur. Il me regarde d'un air désespéré, son regard me dit "fuis tant que tu peux". J'avale difficilement ma salive. Et je repense aux raisons qui me poussent à passer cette audition. Ma carrière, mon rêve, et Kenneth. Je ne veux pas abandonner. Je ferme les yeux, inspire profondément, puis souffle lentement. J'ouvre les yeux, et passe la porte...

Aveuglée par les projecteurs, je fronce les sourcils, ça commence mal. Mes jambes tremblent dangereusement sur mes talons aiguilles. J'ai l'impression de ne pas marcher droit, j'ai le trac. J'ai envie de vomir. Le jury me regarde sans rien dire, ils commencent déjà à prendre des notes sur leur petit carnet. Mon regard remonte vers le fond de la salle, ma famille entière est là, mais surtout, IL est là. Je souris, je vais le faire. J'inspire de nouveau profondément, reprend mon calme, me concentre. Les premiers mots sortent de ma gorge et résonnent dans l'amphithéâtre. Les gens se taisent, ils m'écoutent tous, et plus je parle, plus ils boivent mes paroles. Leurs regards suivent mes gestes avec admiration, mes mots touchent leurs cœurs avec passion. Je fini ma tirade sans faux pas. Ils restent sans rien dire un moment, notant tout ce qu'ils peuvent sur leur petit carnet, et ils grattent, et grattent encore. Moi j'attend. Je sens mon ventre se nouer. Je triture mes doigts, que dois-je faire ? Cinq minutes se sont écoulées et je suis toujours là. Ils relèvent la tête, et une femme se redresse sur ses deux jambes.

- Merci, nous vous enverrons notre réponse.

C'est tout ? Je fais les gros yeux, je m'attendais à un peu plus. Je me retourne après les avoir remercier, sur le chemin du retour, Kenneth et moi nous ne nous parlons pas. Il comprend que je suis trop stressée pour cela....

Un mois c'est écoulé depuis, et c'est aujourd'hui que je reçois ma lettre. Cependant, je n'en ai un peu plus rien à foutre. Après trois ans d'amour, Kenneth doit retourner en Amérique. Je n'ai pas envie qu'il s'en aille, mais je ne peux pas l'en empêcher. Il me demande de le suivre, mais je ne peux pas de suite. Je dois au moins faire une année. Et si nous nous aimons réellement, nous aurons envie tout les deux de nous revoir vite. Quatre ans après tout... ce n'est pas rien.

Je l'embrasse et le serre dans mes bras. Il est temps qu'il s'en aille. Je le regarde s'éloigner avec beaucoup de peine. C'est comme si je laissais mon rêve s'en aller. Je baisse les yeux et ravale mes larmes, je n'aime pas du tout laisser échapper mes émotions ainsi, ça ne me ressemble pas. Je me mord la lèvre inférieure et de mon sac, en sors la lettre du Royal College Of Art. Je l'ouvre. Je laisse échapper un soupire. Je suis acceptée dans la section Art de la scène.



Quelques mois se sont écoulés depuis que Kenneth est parti. Et moi, j'ai bien changé. Je sais ce que je vaux, et je vaux beaucoup. La meilleure de ma promo j'enchaine les premiers rôles comme les pervers enchainent les conquêtes et les aventures sans lendemain. Dans les théâtres de Londres, mon visage est placardé partout. Je suis la révélation londonienne de l'année. Mon premier petit rôle dans une série britannique, j'apparais dans quelques épisodes mais sans plus. L'Angleterre n'a plus rien à m'offrir de toute façon. Ma carrière a déjà décollée, mon ascension jusqu'au sommet est bientôt arrivé. Maintenant, il ne manque plus qu'à retrouver ma moitié.

Il a du me voir peut être, dans des représentations théâtrales rediffusées à la télé. De toute façon, il doit faire attention à moi, c'est comme ça. S'il m'aime, il le devrait. Je me rassure en me disant cela car, cela fait tout de même un an que nous nous sommes pas vus. Nous nous parlons tout le temps bien évidemment, mais des mails ne sont pas ce que je peux appeler une vraie relation.  Ceci dit tout va changer, car dans quelques jours... je serais transférée afin de le retrouver.