Jimmy ; won't you please come home.

« Ô moi ! Ô la vie ! Tant de questions qui m'assaillent sans cesse, ces interminables cortèges d'incroyants, ces cités peuplées de sots. Qu'y a-t-il de bon en cela ? Ô moi ! Ô la vie ! »


Le réveil n’avait pas encore sonné qu’un soleil des plus estival baignait le vieux grenier d’un halo tamisé. À moitié endormit, Jim ouvrait les yeux de temps à autre, fixant à tour de rôle la petite fenêtre carré qui égayait un peu sa chambre, et l’ombre de ses volets sur le mur. Le jour se levait, enfin. Enfin, il saurait à quoi s’en tenir. L’attente devenait interminable, si bien qu’il s’était chargé lui-même – et ce lors des deux dernières semaines – de surveiller le courrier, impatient de savoir. Rien n’était encore arrivé, si ce n’est une lettre envoyée par une vieille tante dont il n’avait pas grand-chose à faire, et quelques enveloppes aux allures administratives sur lesquels il ne s’était pas vraiment penché. Et chaque jour, c’était la même chose. Il était devenu tellement habituel de le voir, à une heure si matinale pour lui, courir jusqu’à la boîte aux lettres dès l’arrivée du facteur que même sa mère ne sursautait plus à chaque fois qu’il bondissait dans la cuisine comme une véritable furie. Elle n’y faisait plus attention, à vrai dire, et il en était de même pour son mari, ainsi que pour les voisins, presque lassés de rire devant le spectacle de Jimmy Whitman, tout juste sortit du lit et à moitié nu, les cheveux en pétards et les yeux rougis, courir comme un débile jusqu’à sa boîte aux lettres dès lors que le facteur rappliquait. Pour en repartir tête baissée, et traînant des pieds, jusqu’à ce qu’un nouveau jour se lève et que la scène se reproduise.

Même sa vipère de voisine ne trouvait plus la force de moquer son corps frêle, ses grands bras et ses jambes maigres, sa peau blanchâtre et la récente pilosité qui recouvrait sa peau. À défaut d’avoir un physique complètement ingrat, Jimmy n’avait pas vraiment le profil d’un top model : sa silhouette, plutôt grande et d’apparence sous-alimentée, offrait un certain contraste avec son visage angélique et les traits fins qui dessinaient ses joues légèrement creusées. De grands yeux marron ornaient ce visage, surplombant un nez fin, et pointu. Deux petites oreilles dépassaient tant bien que mal de sa touffe de cheveux bruns, aussi indomptable que négligée. Traînant ses interminables pieds jusqu’à la porte d’entrée, chaque foutue matinée, il baissait la tête de déception, et pinçait nerveusement ses lèvres fines, dissimulant ainsi une rangée de dents blanches et inégalement alignées.

Mais ce matin n’était pas comme les autres, et bien qu’il ne le savait pas encore, Jimmy l’espérait fortement. Il roupillait encore paisiblement dans sa chambre, avachit sous une lourde couette, et entouré d’un bordel sans nom. Cela faisait bien longtemps que sa mère avait abandonné toute tentative de remédier à un tel chantier, si bien qu’un amas de fringues recouvraient presqu’entièrement le sol de sa piaule. Des fringues noires, blanches, colorées, qui se trouvaient presque toutes être dans un piteux état. Jimmy n’en avait que faire des « modes » vestimentaire, et il s’habillait selon son bon vouloir – et celui de son pauvre compte en banque. Ainsi, des cravates en tout genre, et une grande collection de chapeaux trônaient sur une vieille armoire en bois vernis. Près de la porte d’entrée siégeaient diverses paires de pompes, allant de ses fidèles Doc Martens à sa vieille paire de baskets trouées.

« Réponse : que tu es ici, que la vie existe, et l’identité. »


Il roupillait, encore et encore, jusqu’à ce qu’un klaxon des plus reconnaissable retentisse jusque dans sa chambre. Subitement, la grande couette fut propulsée à travers la pièce et c’est survolté qu’il bondit de son lit jusqu’à la porte.

Hyperactif. Jimmy était de ceux qui ne tenaient jamais en place, toujours animé d’une volonté d’agir, de se dépenser, de meubler sa vie. Sa morne existence ne se résumerait qu’au lycée et à la modeste baraque de ses parents, s’il n’avait pas cette furieuse envie de sortir, de savourer, de vivre. Peu de choses étaient susceptibles de le freiner, mais moins nombreuses encore étaient celles capables de le calmer. Il appréciait un tas de choses, et en détestait presque autant, mais jamais sans avoir un avis très pointu sur le sujet. Son hyperactivité n’avait d’égal que sa curiosité. Avide de savoir, et d’apprendre, c’était là l’une de ses principales qualités. Une qualité qui s’était révélée utile tout au long de sa scolarité, faisant de lui l’un des meilleurs élèves de sa classe. Et ce même si la filière académique lui offrait des désavantages certains ; comme celui de rester assit sur une chaise pendant des heures, par exemple.

Et curieux, il l’était de savoir si ce jour était le bon. Il dévala les escaliers en un rien de temps, et traversa la cuisine à grandes enjambées, sans porter la moindre attention à sa mère qui était là en train de préparer le petit déjeuner.

Il ne porta pas plus d’attention au gazon humide qui chatouillait ses pieds nus et sur lequel il faillit glisser en se traînant jusqu’à la boîte aux lettres. Il ouvrit cette dernière sans le moindre ménagement, et luttant pour ouvrir les yeux, il repéra une lettre adressée à « Mr. James Whitman », qu’il commençait déjà à déchirer sur le retour jusqu’à la maison.

Ses yeux s’ouvrirent plus grands lorsqu’il reconnut le tampon administratif du lycée Wynwood de Miami, qui lui envoyait enfin la réponse à sa candidature. La première phrase qu’il lut fut : « Monsieur Whitman, nous avons le plaisir de vous annoncer que votre candidature au lycée privé Wynwood a été retenu, ainsi que votre demande de bourse d’étude. Celle-ci s’élèvera à … ». Il cligna des yeux et dut s’y reprendre à trois fois avant d’assimiler réellement ce qu’il était en train de lire. Sa candidature était retenue. Il avait réussit.

Ce fut la gorge et l’estomac noué qu’il pénétra à nouveau dans la cuisine. Celle-ci était seulement occupée par sa mère qui, visiblement nerveuse, leva les yeux à la vue de son fils. Elle ne dit mot, mais son regard traduisait un intérêt évident pour ce que Jim allait lui dire.

« Je suis pris. »

Il ne comprit pas exactement ce qui lui arrivait, tandis que sa mère lui arrachait la lettre des mains puis se jetait dans ses bras en lâchant un cri aigu. Il ne reprit connaissance que dans les escaliers menant à sa chambre, et tout s’éclaircit dans sa tête. Il sauta les dernières marches d’un seul coup, et criant sa fierté, il rentra en trombe dans sa piaule. Oubliant de ce fait qu’il devait courber l’échine pour passer par la porte, et heurtant son front contre le mur. Stoppé net, il se releva après quelques secondes passées sur le sol à maudire son impulsivité.

D’aussi longtemps qu’il se souvenait, Jim avait toujours fait preuve d’une impulsivité à toute épreuve. Ça aurait pu être une bonne chose, si ça ne l’avait pas toujours conduit à se retrouver dans des situations ridicules. Tout le lycée le connaissait pour ça, et les plus moqueurs des élèves le trouvaient carrément loufoque. Répondant à chacune –ou presque- de ses envies, c’est ainsi qu’il s’était retrouvé maintes fois à poil dans la fontaine du centre-ville, ou déguisé en bite pour la finale universitaire de foot de l’état du Mississippi. Alors oui, peut-être était-il loufoque, ou carrément perché, mais il assumait totalement cette facette de sa personnalité.

Surexcité, il faisant les cent pas dans sa chambre, et repensait à la lettre de Wynwood. Ainsi donc, il continuerait ses études dans un établissement réputé – contrairement au lycée de secteur qui avait été le sien jusqu’à présent, et qui souffrait d’appartenir à l’enseignement public - et ses chances de se créer un meilleur avenir se verraient décuplées. Avec toute sa détermination, il avait franchit la première étape. Mais beaucoup d’autres restaient à venir, et loin d’être effrayé à cette perspective, il n’attendait qu’une chose : se lancer dans le grand bain. Il l’avait souhaité pendant de longs mois, il avait tout mit en œuvre pour réussir son objectif, et voilà que le destin lui souriait : il avait réussit haut-la-main ses examens, et on lui avait accordé sa bourse d’étude. *Je le mérite* pensait-il souvent, et se voir récompensé lui apportait une joie tout particulière. Désormais, c’est l’avenir, et Miami, qui lui tendaient les bras. Cette immense ville qu’était Miami devenait ainsi son futur terrain de jeu. Parce que joueur, il l’était. Et la liberté que cette nouvelle situation allait lui apporter lui procurait d’avance des papillons dans le ventre. Une fois à Wynwood, il n’aurait plus à dépendre de ses parents, du moins plus vraiment. Plus d’obligations familiales, comme aider son père pour son boulot le week-end, ou satisfaire les exigences de sa mère en terme de sorties nocturnes. À Wynwood, il serait plus indépendant que jamais.


Il n’attendait plus qu’une chose, déménager cette piaule au plus vite. Il avait assez vu ce maudit grenier pour le reste de sa vie, pensa-t-il, alors que son regard s’attardait sur sa fidèle caméra neuve, qu’il chérissait plus que toutes les autres merdes de cette chambre réunies. Elle était sa meilleure amie, son outil préféré, et le plus beau cadeau qu’on lui ait jamais fait. D’ailleurs, quand il n’était pas en cours, il passait le plus clair de son temps avec elle, à photographier, ou à filmer tout et n’importe quoi. Le monde de l’audiovisuel lui donnait envie plus que n’importe quel autre domaine, et il trouvait là le meilleur moyen d’exprimer son côté artistique, et sa créativité. Il avait, avant ça, apprit le piano de par sa mère, ancien professeur de musique, et nombres de ses tentatives de dessins et de toiles peintes ornaient les murs du foyer familial. Mais il n’avait révélé aucun talent spécifique pour ces disciplines, contrairement aux fois où il tenait dans ses mains une caméra, ou un simple appareil photo. C’était ça, sa came, et sa passion. Il était persuadé qu’il en ferait un jour son métier, et même les remontrances de son père contre la perspective d’avoir un fils saltimbanque ne suffisaient à le sortir de son entêtement.

Rêveur, il consulta les dernières photos qu’il avait prit avec son Canon, et s’attarda sur un portrait de lui accompagné de ses amis les plus fidèles. Ces derniers étaient au nombre de trois, seulement trois, mais ça lui suffisait amplement. Bien que sociable, et plutôt bon copain, Jimmy avait néanmoins quelques difficultés à aborder les gens et à se montrer totalement avenant. Très peu de monde pouvaient se vanter de le connaître réellement, mais les personnes avec qui il se trouvait être le plus introverti étaient les gonzesses. La confiance qu’il avait en lui se voyait régulièrement réduite à néant lorsqu’il se trouvait en compagnie d’une fille qui lui plaisait, et il n’était pas des plus doués pour les attirer vers lui. Certaines l’avaient même fuit. Mais une, à sa grande surprise, l’avait prit tel qu’il était. Se souvenir de cela lui était à la limite du supportable, maintenant que la jolie demoiselle en question se trouvait à des milliers de kilomètres.

C’était pour lui de l’histoire ancienne, et ce même si la demoiselle rappliquait avec toutes les meilleures excuses du monde – ce qu’elle ne ferait évidement pas, connaissant la susceptibilité et la rancune qui le caractérisait.

Il laissa ses pensées vagabonder encore quelques secondes, jusqu’à ce qu’une voix aiguë ne retentisse de la cuisine :