∞ Au quart de tour [Ugo]

Au quart de tour

« Qu’est-ce que tu veux ? »

Kim, que je n'avais pas eu au téléphone depuis au moins cinq mois, s'était soudainement prise d'une envie de me parler. Mais, je savais bien que ses intentions n'avaient absolument rien d'innocent. Elle devait avoir un service à me demander, ça lui prenait souvent, surtout depuis mon départ de San Francisco. Et d'un autre côté, elle était aussi capable de passer des mois sans donner signe de vie. Contrairement à notre amie Rayen qui, elle, passait ses journées devant l'ordinateur, excepté lorsqu'elle daignait aller en cours. Chaque semaine, elle m'envoyait un mail comme pour s'assurer que j'étais encore en vie et surtout que je ne l'avais pas oubliée.

J'avais le don pour m'entourer de cas sociaux. Mais, bizarrement, je les aimais bien ces deux bouts de femme et ce, malgré tous les soucis qu'elles pouvaient me causer. Pourtant, à l'instant présent, j'en avais juste ma claque. À vrai dire, depuis quelques temps,

« Arrête de tourner autour du pot, j'te connais par cœur, Kim. Non, non, je ne veux pas parler à ta mère. Dis moi de quoi il s'agit. Quoi ? »

Je l'entendais parler en vietnamien avec sa petite sœur. Comme je la détestais quand elle me faisait ça. Niong niong par ci, niong par là. Plutôt que de me dire directement ce qui ne va pas et me demander simplement ce qu'elle veut que je fasse pour elle. Elle me file tantôt sa sœur cadette au téléphone, puis sa mère, son grand frère et finit par reprendre le bout du fil au bout d'une heure. Je m'épuisais à force d'acquiescer à chaque phrase et de répéter sans cesse de me passer Kim pour qu'elle dise ce qu'elle a dire.

« Bon sang, accouche meuf ! Quoi ? QUOI ? »

Je n'aurais pas mieux choisi mes mots en le faisant exprès. Elle venait d'apprendre qu'elle était enceinte d'un type du lycée, mon ancien lycée où elle était encore. Ce gars, il était réputé comme coureur de jupons mais, elle, elle bavait dessus depuis sa première année au collège. Jusque là, elle s'était contentée de fantasmer silencieusement enfin presque, elle ne cessait d'aborder le sujet lorsqu'elle était avec Rayen et moi. Puis le lycée arriva et les soirées arrosées avec, elle avait l'alcool triste et son obsession lui faisait faire des bêtises pour se rendre intéressante. J'avais toujours cru que cela n'irait jamais plus loin et qu'elle se rendait juste ridicule mais rien de bien méchant. Après tout, nous sommes tous de sombres crétins après quelques verres bien torchés.

« Déjà d'une, comment t'as pu ? Avec ce crétin ? Si, si c'en est un, ma belle. Mais surtout, de deux, pourquoi vous vous êtes pas protégés ? Putain mais non, tu aurais du être prudente avec ça même si il ne voulait pas. Oui, c'était ta chance mais merde quoi ! Une capote, ça prend même pas une minute à mettre ! Tu n'sais pas ? Et bien, à l'avenir tu t'exerceras avec une banane, un poireau ou un concombre s'il le faut, idiote ! Te voilà bien, maintenant ! Tu vas devoir avorter, tu vas avoir mal. Au moins, ça te fera une leçon. »

J'imaginais qu'elle avait besoin de moi pour lui trouver une adresse de planning familial ou d'un chirurgien gynécologue efficace puisque mon père travaillait pour un laboratoire, il avait de bons contacts dans le milieu médical. Mais quelle ne fut pas ma surprise lorsque...

« Comment ? COMMENT ? Tu veux le garder ? T'es devenue complètement cinglée ? Tu crois vraiment que tu vas réussir à retenir ce demeuré en gardant son mioche ? Il s'en fout, lui, crois moi. Et tu n'es peut-être même pas la première à qui il en a pondu un. »

Après me sortir le classique "si nous avons un bébé, il m'aimera encore plus", elle m'expliquait que jamais ses parents n'accepteraient qu'elle avorte et qu'elle n'oserait jamais y aller seule, qu'il fallait que je revienne à SF parce que même à Rayen elle ne le demanderait pas, elle voulait que ça reste entre nous. Et puis, elle repartait sur son idée que garder le bébé était la seule solution, elle se mettait à pleurer, à baragouiner en vietnamien et moi, je perdais patience.

« Écoute-moi ! Je ne peux pas revenir à San Francisco juste comme ça alors tu vas en parler à Rayen, elle t'y amènera chez le gynéco, ok ? Tu crois que ta famille voudra vraiment que tu gardes le mioche ? Je te rappelle que l'année dernière, ils te parlaient déjà de te présenter à un vietnamien. Non pas que je sois d'accord avec ce principe de mariage arrangé mais je préfère encore ça au fait que tu t’embarrasses, à ton âge et sans avoir fini tes études, d'un gosse que tu auras eu avec le type le débile sur qui tu as un béguin qui, de toute évidence, ne dureras pas. Baise qui tu veux, Kim mais n'en subis pas des conséquences pour le restant de tes jours. Tu entends ? »

Sur ce, elle me raccrocha à la figure.

« BORDEL ! QUELLE CONNE ! »

En gueulant, j'avais foutu un poing au mur le plus proche. Dans la colère, je n'avais pas vu un type arriver. J'étais dans le couloir qui menait aux toilettes du lycée et ce gars qui passait à ma droite, derrière moi, venait de se prendre une partie de mon bras au niveau de son nez.

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