Etre seul, c'est trop demander ? [Terminé]

Fumer était mauvais pour la santé, je le savais. J'avais conscience que ça pouvait me tuer ou bien diminuer mon espérance de vie mais que voulez-vous ? Quand on y a goûté, il était plus que difficile de s'en passer. Avec un peu plus de volonté, peut être que j'y parviendrais. Mais non. Il y avait des moments où une petite cigarette faisait du bien, comme au réveil, après manger, pendant une période de stress... Tu décompressais rapidement une fois ce petit tube entre tes lèvres. Il fallait en savourer chaque bouffée vu le prix que ça coûtait. Un prix qui ne cessait d'augmenter. Ça faisait mal au porte-monnaie parfois... Mais bon, notre budget clopes tenait tout de même le coup.

Ce fut donc par politesse mais aussi pour rendre service que je proposai une cigarette à Damon. J'avais quelques " provisions " alors lui en offrir une n'aura pas un grand impact sur notre budget. Et puis, pour une cigarette... On n'allait pas en faire un cake, si ? J'éviterai quand même de le dire à Jamie, on ne sait jamais. Déjà, j'espérais qu'il ne prenne pas mal qu'un autre gars vienne fumer avec nous. Il ne manquerait plus qu'il ait eu un début de matinée pas top et l'ambiance en paierait les frais. On verra bien. Je glissai donc une cigarette dans la main tendue de Damon et lui souris.

- Suis-moi alors, lui indiquai-je en me tournant vers la sortie.

Je ne lui précisai pas que nous ne serons pas que deux. Je ne savais pas trop comment le lui dire sans jeter un froid. Jamie ne l'enverra pas balader, même si sa matinée n'avait pas été bonne. Ça me rassurait déjà un peu. Mais non ça ira, inutile de se prendre la tête. Je me dirigeai vers la porte et sortis pour aller fumer sur le parking avec mon copain et Damon.

J'étais perturbé pour un rien, j'en avais parfaitement conscience mais c'était comme ça. Chez moi, tout le monde connaissait tout le monde. Nous nous invitions plusieurs fois par semaine les uns chez les autres et discutions de tout et de rien. La politique revenait souvent et c'était ennuyeux. Même si nous ne nous y intéressions pas tant que ça dans la famille, ce sujet était couramment remis sur le tapis. Personnellement, dans ces cas-là, je préférais ne pas me mêler au débat. Je ne savais pas grand chose à propos de tout ça et la peur de dire une bêtise me faisait toujours fermer ma bouche. Tant mieux. Mais bon, l'ambiance demeurait plutôt chaleureuse et conviviale dans notre quartier. Les nouveaux venus étaient toujours bien accueillis parmi nous et se sentaient très vite comme chez eux. Bref, tout ça pour vous dire que j'étais habitué à savoir qui j'avais en face de moi.

Ce fut pour ça que j'interrogeai le garçon sur son identité. Mon attention fut détournée quelques instants lorsque je sentis les vibrations de mon portable contre ma jambe. Alors que je me posais des questions sur l'émetteur de ce message, l'élève me répondit sans grande hésitation. Damon Beast, voilà comment il s'appelait. Damon. J'aimais beaucoup ce prénom. Pour tout vous avouer, c'est comme ça que j'aimerais baptiser mon fils, si j'en avais un bien sûr. Un jour peut être... Ce serait mon plus grand rêve. Euh... Désolé ! Je partais dans mes divagations. Où en étions-nous... Ah oui ! Damon. Bon, autant lui rendre la pareille et me présenter à mon tour, non ?

- Enchanté Damon, moi c'est Luke. Si jamais tu as des questions sur le lycée, n'hésite surtout pas, d'accord ? je marquai une pause et repris. Excuse-moi...

Je sortis alors rapidement mon téléphone de ma poche afin de voir ce que contenait ce message. Je lus qu'il était de Jamie qui me demandait si je venais fumer avec lui ou non. Un micro sourire étira mes lèvres puis, je remis le portable à sa place : au chaud dans ma poche. Je me relevai alors et sortis une cigarette de mon autre poche. Je lançai ensuite un regard à Damon.

- Tu es fumeur ? Tu veux que je te paye une cigarette ? proposai-je en sortant mon paquet de mon jean.

Il était vrai que je faisais difficilement la part des choses quelques fois. Souvent, j'avais plus tendance à défendre les élèves qu'à les punir comme le faisaient les autres membres de la vie scolaire. Je m'attachais facilement aux gens, c'était l'une de mes nombreuses faiblesses donc il m'arrivait de temps en temps d'oublier mon rôle de surveillant. Je n'aimais pas leur crier dessus aussi... En quoi était-ce utile ? Être méchant et agressif ne servait pas à grand chose, si ? Parfois, je me demandais si j'étais trop " bisounours " comme le disait Jamie et s'il fallait que je revois mon comportement ou non. Quand je voyais mes collègues déballer leurs punitions à tout bout de champ, je ne pouvais pas m'empêcher de douter. Mais Jamie ne me laissait jamais vraiment le temps de me tourmenter car il m'interdisait de changer. Il ne voulait que je devienne comme " ces refourgueurs de colles complètement abrutis ". J'essayais donc d'éviter de me poser trop de questions à propos de tout ça et continuais de faire comme d'habitude.

Je voyais dans ses yeux clairs que l'adolescent avait du mal à supporter ma présence, comme beaucoup d'élèves repris par des surveillants j'imagine. Peut être aurait-il fallu que je le punisse directement ? Non quand même pas... Attendez, il était simplement assis dans le couloir. Quoique des fois, des étudiants recevaient des sanctions pour moins que ça. Là, je n'en avais plus à l'esprit mais... Bref. Lui demander de bouger un peu me semblait plus juste que de le descendre. Il ne répondit pas mais rangea ses jambes. Je souris et lâchai limite un petit rire.

- Bon, c'est déjà mieux. Merci euh... Comment tu t'appelles ?

J'ignorais toujours son nom et c'était très étrange à mes yeux. Parler à quelqu'un sans savoir de qui il s'agissait était bizarre enfin, pour moi. J'aimerais bien savoir comment il s'appelait quand même. Surtout que soudain, je sentis mon portable vibrer dans ma poche. On verra après.

Les groupes étaient majoritaires à Wynwood. Rares étaient les élèves qui se retrouvaient seuls dans les couloirs. Généralement, les KO formaient la classe peu fréquentable, comme les NZ. Pourquoi ? Je ne serais pas capable de vous livrer une réponse fiable à cent pour cent mais je vais vous donner celle qui, pour moi, était la bonne. Tout d'abord, on avait tendance à ranger les KO dans le sac des " intellos " et les NZ dans celui des " hippies ", stigmatisant alors complètement ces deux confréries. D'autre part, les bandes, souvent composés de PS ou de RK, les élèves les plus populaire de l'établissement, avaient une image très péjorative des deux autres groupes. De ce fait, les populaire rejetaient et " foutaient la misère à tous ces ringards " pour reprendre ce qu'ils disaient. Moche, je suis d'accord. On avait beau faire tout notre possible pour éviter ce genre de traitements, il nous était impossible de pouvoir agir n'importe où, n'importe quand. Dommage...

Le garçon, dont je ne connaissais toujours pas le nom, était définitivement seul et n'avait pas froid aux yeux. Il me faisait un peu penser à certains SM peu sociables et distants. Pourtant, je ne le pensais pas SM. Il y en avait un petit groupe de trois personnes qui passait devant nous mais qui n'adressa pas un regard à l'élève assis sur le sol. Ils n'y firent même pas attention et ne devaient donc pas le connaître. Donc, pas SM. Tout seul donc sûrement ni PS, ni RK. Pas NZ, Jamie me l'aurait dit si quelqu'un avait rejoint leur confrérie. Peut être KO, AP ou encore Lambda ? Quoi qu'il en soit, sa réponse un chouilla arrogante ne changea en rien l'image dure qu'il pouvait renvoyer. Maieuh...

- Oui je n'en doute pas mais il y a des chaises dans le hall et là, tu ne gêneras personne.

Je lui fis un petit sourire, content de la proposition que je lui fis. C'était une bonne alternative non ? Enfin, je trouvais. Ces sièges étaient de loin plus confortables que le sol de ce couloir donc autant aller s'installer là-bas, ce serait mieux je pense.

Ça grouillait autour de nous. Les élèves se bousculaient entre eux, certains pour aller fumer et d'autres simplement pour passer. Peu importait la raison, les têtes continuaient de passer et de repasser sans cesse. Parmi ces visages, quelques uns me revenaient tout de suite. J'aimais m'ouvrir aux autres donc je connaissais pas mal d'élèves. Il y en avait avec lesquels j'avais des conversations de temps en temps puis d'autres qui se faisaient davantage remarquer par les quatre cents coups qu'ils exerçaient dans le lycée. Des groupes le plus souvent, même si parfois il m'arrivait de reprendre des personnes seules. Comme aujourd'hui par exemple.

Alors qu'un couple était en train de s'embrasser près de nous, je ne pouvais pas quitter ce nouvel élève des yeux. Un élève peu sociable au premier abord. Aucun ami pour l'entourer et un regard plus que glacial croisa le mien. Il n'avait pas l'air très sympathique. Lui avait-on fait du mal ? Peut être, je n'en savais rien. J'aurais aimé lui demander pourquoi il m'affichait ce visage plus que froid mais je n'en fis rien, ne voulant pas risquer d'entrer dans sa vie personnelle. Échanger avec les élèves était important pour moi mais je refusais de débarquer de cette façon dans la vie des gens. Il y avait des limites à ne pas franchir, même lorsque l'intention était bonne. Je calmai donc ma curiosité et repris la parole.

- Alors ? Tu veux bien libérer le passage ?

Tous les jours, je voyais défiler des dizaines d'élèves donc j'en connaissais des cas difficiles. Entre ceux qui étaient mal dans leur peau, ceux qui recherchaient la popularité à tout prix ou encore ceux qui aimaient faire n'importe quoi et désobéir, on en voyait de toutes les couleurs ! Pourtant, cette nouvelle tête me paraissait " étrange ". Je ne saurais pas vous dire pourquoi j'avais ce ressenti mais c'était comme ça. Bizarre.

Cette journée était sacrément agitée dis donc ! Même le trajet pour venir au lycée ne fut pas de tout repos. Les klaxons, les insultes crachées par les fenêtres, les coups d'accélération brusques ; les conducteurs étaient chauds aujourd'hui. J'ignorais ce qu'ils avaient pu manger la veille mais les effets secondaires n'étaient pas tops du tout. Pendant un moment, j'eus presque peur qu'un des automobilistes vienne s'acharner sur nous. Jamie me rassura un peu mais cette angoisse ridicule ne disparaissait pas pour autant. Mais bon, je m'étais affolé pour rien et personne ne vint nous agresser. Tant mieux ! Nous réussîmes à rejoindre Wynwood sans encombre, même si je faillis percuter une autre voiture sur le parking... Ne vous moquez pas, ce n'est pas drôle...

Enfin bon. L'agitation me poursuivit jusque dans l'enceinte du lycée. On manqua de m'envoyer plusieurs portes dans la figure mais bon, ce n'était pas encore trop exceptionnel. Je me réfugiai rapidement dans la vie scolaire et rejoignis le bureau auquel j'étais affecté pour ce début de matinée. Quelques autres surveillants entrèrent à leur tour dans la pièce et firent de même. Certains commencèrent déjà à discuter, comme toujours, mais je ne le soulevai pas, comme toujours également. Je préférai me concentrer sur mon propre travail et pris quelques appels venant de parents souhaitant signaler l'absence de leur enfant. Beaucoup de jeunes venaient de la même classe. N'y avait-il un devoir par hasard aujourd'hui ? Possible, il y avait souvent des absents lorsqu'un contrôle était prévu. Le téléphone sonna donc à de multiples reprises, si bien que je dus jongler entre les appels et les retards de ce matin. Pas facile mais avec un peu d'entrainement, j'étais parvenu à savoir, à peu près, comment gérer ce genre de situation.

La récréation de cette matinée arriva donc assez rapidement. Ça changeait de la veille. En effet, la journée d'hier fut plutôt molle. Ce n'était pas très grave mais je fus obligé de supporter les discussions et commérages entre surveillant(e)s qui avaient lieu juste à côté de moi. Souvent des histoires personnelles d'ailleurs, des choses que l'on se passerait bien d'entendre. Un collègue, assis au bureau qui me faisait face, me lançait de temps en temps des regards lourds de sens, partageant visiblement mon point de vue sur ces conversations. Ah lala... Lorsque la sonnerie retentit, je me levai vite pour aller fumer et respirer. J'enfilai ma veste noir, me baissai un peu pour passer la porte et me dirigeai vers les couloirs qui conduisaient vers l'extérieur. Quelques élèves se bousculaient un peu, comme d'habitude mais rien de bien méchant. Puis, je vis installé, quelques mètres devant moi, un élève dont le visage ne me disait pas grand chose. Je remarquai surtout que ses jambes étendues par terre gênaient la circulation et que ça ne semblait pas le déranger, au contraire. Je m'approchai donc calmement de ce garçon, ne voulant pas me montrer rude.

- Je ne sais pas si tu en as vraiment conscience mais tu gènes un peu le passage avec tes jambes donc, peux-tu les replier s'il te plait ? demandai-je gentiment en me penchant un peu vers lui.