Le hasard fait bien les choses. || Alona & Enoria.

Nous avions quitté l’enfer de la cafétéria. Tous ses regards qui se posaient sur nous, ses sourires en coin, ses yeux moqueurs… C’était une erreur comme les autres que de renverser son plateau sur une autre et de reculer dans le ragoût d’un mec. Mais bon, il fallait croire que les gens qui riaient n’avaient rien de mieux à faire que de nous regarder de loin en rigolant. Surtout, ne venez pas nous aider. Non, bien sûr, on est des femmes et c’est notre boulot que de finir à quatre pattes sur le sol et de nettoyer la crasse. Bande de cons. Tous les mêmes. Sexistes et machos. Et les filles qui regardaient… Même chose. Mais aurais-je réagi ainsi si ça avait été quelqu’un d’autre que moi ? Me serais-je portée volontaire pour les aider ? Oui, probablement. Mais ça restait tout de même à prouver.

Alona avait trouvé mon prénom joli et j’en avais été flattée. Elle-même avait un nom très joli et je n’avais pas hésité à lui dire. Je lui avais aussi demandé s’il avait une signification. Elle sourit avant de répondre. « Je supposes qu'il doit en avoir une ! J'avoue que je sais simplement que mon nom est d'origine Hébreu et qu'il me plait. Et toi il a une signification spécifique ton prénom ? » Mon prénom a-t-il une signification ? Je ne crois pas. Mais pourquoi l’avait-Il choisi ? Il ne me l’avait dit et je ne lui avais jamais demandé. Qu’allais-je donc répondre à la jeune fille ? Que mes parents avaient eu un coup de cœur pour ce prénom et qu’ils me l’avaient donné ? C’était faux. Mais avais-je à donner la vérité alors que toute ma vie était un mensonge ? Je lui répondu donc ce qui se rapprochait le plus de la vérité : « Je ne sais pas et je ne le saurai probablement jamais. Mais je ne crois pas qu’il en est une. » Je haussais nonchalamment les épaules alors que nous poursuivions notre chemin vers les toilettes.

Arrivées, je lui ouvre la porte et lui fais signe de passer. Les bases de la politesse, non ? Du moins, c’est ce qu’on m’a appris. Puis, je me dirige vers les robinets et fais couler de l’eau sur un papier avant de le mousser avec du savon. Je lui tends un papier avec un sourire aux lèvres avant de lui dire que ça ira mieux avec ça qu’avec les serviettes sèches qu’il y avait à la cafèt’. Elle le prend en m’offrant un sourire et en répondant : « Merci, oui je crois aussi ! » Elle entreprend d’essuyer son t-shirt et son jean tandis que je tente d’apercevoir les dégâts qu’il y a eu dans mon dos en m’observant dans la glace. Et je vois mon visage. Pâle, avec de petites traces de cernes sous les yeux peu voyantes. Et ce sourire. Petit, mais éclatant à la fois. Vrai. Ça fait du bien de ne pas être forcée de sourire, de sourire naturellement. Et à quand remonte la dernière fois où j’ai été heureuse ? Je ne peux même pas m’en rappeler… Alona me demande alors, d’une voix douce : « Tu es nouvelle ici ? Parce qu'on dirait que tu connais le lycée comme ta poche ! » Merde, que répondre à ça ? Il est vrai que je connais le lycée comme le fond de ma poche, mais une nouvelle n’aurait jamais pu le connaître aussi rapidement. Mais j’étais nouvelle et il était évident que je devrai faire des efforts pour sembler un peu plus… perdue. Je hochais donc la tête avant de lui répondre : « Ouais, je suis nouvelle. Mais bon, avec un plan de l’école et beaucoup d’essais et erreur, on finit par s’y faire. Et par connaître tous les couloirs. » Je souris avant de lui demander : « Et toi ? Tu es nouvelle ? »

HRP : Désolée du retard o/ Et c'est pas top. Je me reprends à la prochaine réponse, promis ! :)

Suite au dégât que j’avais causé sur ses vêtements et dans un même mouvement, sur les miens, je ne pouvais que lui proposer de se rendre à la salle de bain pour bien nettoyer. Et c’est ce que j’avais fait. Un sourire collé aux lèvres, un vrai, je lui avais fait ma proposition. Je me sentais coupable pour ce qui lui étais arrivée, j’aurais dû regarder où j’allais. Et puis, avec ces serviettes de papier sèches et sans savon qu’offraient la cafétéria, on ne réussirait pas à tout nettoyer, c’était certain. Elle me répondit sur un ton guilleret : « Avec plaisir ! Je te suis ... » Je lui offre un autre sourire. Un franc. J’espère qu’elle ne me prendra pas pour une hypocrite avec tous ses sourires que je lui lance, mais c’est ainsi que je réagis dans les moments de stress. Je souris, toujours, ou je grimace un sourire. Similaire. Je lui réponds à mon tour, gentiment : « Bien, viens ! C’est par là. » Je dépose mon plateau sur les bandes métalliques qui longent le comptoir et me retourne vers la sortie. Je me dirige vers la porte de la cafétéria qui mène dans le couloir en jetant des regards noirs aux élèves qui osent se foutre de nous ou à ceux qui se moquent sans s’en cacher. Bande de cons.

Je connais les lieux comme le fond de ma poche. J’aurais pensé qu’entre mon départ et mon retour, il y aurait eu des rénovations, mais non. C’était le même endroit. J’étais déjà passée dans ce couloir. J’étais déjà allée dans cette cafétéria. J’étais déjà allée dans les toilettes vers lesquelles nous nous dirigions. Mais tous ses souvenirs restaient flous dans ma tête. Seuls les plus importants restaient. J’avais été sacrée reine d’un bal, il y avait longtemps, avec un certain Aaron Gray. Je n’avais jamais compris comment ni pourquoi j’avais gagné. J’en avais averti. Simplement. Puis, il y avait ses souvenirs dans la salle de musique avec Josh. Sous corps sur le mien, sa voix de velours parvenant à mes oreilles, ses mains sur ma peau, ses yeux pleins de tendresse… Puis, la grossesse… Les yeux, petits et curieux, bleus de Tori Nora Jr. Puis, le meurtre. Et la fuite. Cette école me rappelait des bons comme des mauvais souvenirs et penser à ça, maintenant, me donnait des frissons. Je reportais donc ma voix sur celle d’Alona. « Enoria, c'est un joli nom. Original ! », dis-elle. Je lui souris avant de répliquer doucement : « Merci ! Alona aussi, c’est rare et très joli comme prénom ! Est-ce que ça a une signification ? » Nous arrivâmes ensuite à la salle de bains des femmes et je poussais la porte en la laissant passer devant. Je me dirigeais vers les robinets, tournais l’eau avant de prendre quelques papiers et de les passer sous le jet. Un sourire étirant toujours mes lèvres, je déposais un peu de savon dessus avant d’en passer un à Alona. « Tiens ! Je crois que ça ira mieux avec ça qu’avec ce qu’il y avait à la cafèt’ »

Je m’étais levée avec un sourire plaqué aux lèvres, prête à affronter la journée à venir avec tout le courage que j’aurais su trouver en moi. J’étais d’ailleurs sortie en souriant aux passants que j’avais croisé et certains m’avaient lancé des regards de travers, comme si j’étais devenue folle. J’avais essayé d’être sage en classe, du moins, de respecter. Mais mes efforts pour faire profil bas n’avait pas été vus d’un bon œil. J’avais tout de même fait de mon mieux. Je ne sais quel éclair de lucidité m’avait frappé ce matin mais aujourd’hui, ma tête me poussait à changer, à être positive et à agir autrement. Et j’étais prête à le faire. Mais il fallait croire que quelqu’un là-haut voulait que j’aille une journée de merde et que mon moral et mon espoir tombent en morceaux à la première occasion. Alors que mes lèvres étaient étirées en un fin sourire lorsque j’étais arrivée à Wynwood, maintenant même les vestiges ne paraissaient plus. Tout s’était effondré. Je devais uniquement avoir un air bête, les joues rosées par la gêne. Et j’avais la terrible envie de disparaître mille pieds sous terre, après avoir renversé mon plateau sur une inconnue et avoir reculé dans le plateau d’un mec qui se moquait désormais de moi. Quelle chance.

Je m’étais tournée à nouveau vers la jeune fille en me confondant en excuse. Je regarde bêtement la purée de pommes de terre couler sur elle sans réagir, médusée par la situation. Quelques regards indiscrets sont accrochés à nous et je vois du coin de l’œil des sourires moqueurs éclairés le visage de certains étudiants qui se tiennent prêts de nous. Mais personne ne nous aborde pour nous proposer son aide. Personne ne vient nous aider à ramasser la nourriture qui est tombée sur le sol. Tous restent plantés à leur place, à nous regarder idiotement. Le monde n’est plus ce qu’il était. Les gens sont devenus imbus d’eux-mêmes. Reprenant sur moi, je souris timidement à la jeune fille lorsqu’elle me répond. « Je m'en doute, y a plus qu'à aller se changer ! » Elle tend la main et prend quelques serviettes de papier qui sont posées sur le comptoir avant d’essuyer la purée. Pourtant, on voit encore la tache et un tour à la salle de bain pour bien laver le tout est incontournable. Je sens toujours le jus couler dans le bas de mon dos et sur mon jean et je tends la main à mon tour avant d’agripper des serviettes et de les placer sur la zone endommagée. Je la vois sourire et entends ensuite sa voix : « Moi c'est Alona !
- Moi c’est Enoria. Enchantée! »

Mes lèvres esquissent un fin sourire alors que je la regarde en douce. Elle a des traits angéliques, de longs cheveux comme j’en possédais autrefois, deux yeux bruns. Une jolie fille. On se ressemble. Du moins, elle ressemble à la fille que j’étais avant. En quelque sorte. Et je me sens d’une quelconque façon attirée par elle. Pas amoureusement, ni sexuellement. Plutôt comme si je pouvais me confier à elle. Voyant qu’elle bataille toujours à essayer d’essuyer son chandail, je lui propose donc la solution : « Je t’accompagne à la salle de bain, si tu veux ? Parce que c’est pas avec une serviette de papier sèche que tu vas réussir à tout enlever. Et j’ai moi-même besoin de m’essuyer… »

Alona & Enoria

« Miss Aksakov ! » Ce petit cri aigu et familier me fit relever la tête. La vieille dame prostrée à l’avant me jetait un regard furibond. Sa frêle carrure semblait trembler sous l’effet de la vieillesse et son visage dodelinait alors qu’elle poursuivait sa tirade. « Je sais bien que mon cours de français avancé est moins intéressant que ce que vous dessinez dans votre cahier. Mais vous êtes en dernière année et si vous ne voulez pas être encore ici l’année prochaine, vous avez intérêt à écouter ma leçon. » Un ricanement s’échappa de l’idiot qui partageait ma table et je plissais les yeux en lui jetant un regard noir. Il se retourna, mais je vis bien que ses lèvres étaient toujours plissées en un rictus amusé. J’avais beau me dire que je devais être plus patiente et que je devais essayer de rester calme, peu importait le genre de situation à laquelle je faisais face, je n’en étais pas capable. Et alors que le brunet à mes côtés ricanait toujours, je n’avais qu’une envie : lui balancer mon poing à la figure. J’avais beau être une Nu Zeta et être supposée m’intéresser à mon environnement, au respect et toutes ses foutaises, les connards dans le même genre de mon camarade m’exaspéraient. La professeure essaya à nouveau d’attirer mon attention en tapant dans ses mots. Je levais les yeux au ciel avant de la regarder. « Ce que je dis n’est pas à prendre à la légère, très chère. Vous écoutez ou je vous mets dehors ! C’est clair ? » Un éclat de rire involontaire m’avait échappé, sans aucune raison.

Et c’est ainsi que je me retrouvais dans le bureau du proviseur.

Je reçus les réprimandes habituelles. « Prochaine fois, c’est un renvoi. » Ses petits yeux de fouine se posaient toujours sur moi et je voyais bien qu’il me fixait derrière ses lunettes. En fait, son allure de figure paternelle qui n’inspirait pas le respect me faisait bien rire, mais par respect, je m’en abstenais devant lui. Le proviseur, personne sensée faire respecter l’ordre. Mais à chaque fois qu’il me répétait sa petite phrase insignifiante, je n’étais convaincue que d’une chose : il ne pouvait en rien attirer le respect. « Et je suis sérieux, cette fois-ci.
- Pas de problème, m’sieur. J’reviendrai plus et je serai saaage. »
Il ne releva pas sur mon ton ironique et me désigna d’un geste de tête la porte de sortie. Je lui envoyais un charmant petit sourire avant de me lever et de sortir de la pièce, prenant bien soin de fermer la porte derrière moi. Un fin sourire étira mes lèvres alors que je sortais du couloir d’administration en sachant que je n’avais aucune conséquence et que pour le reste de l’heure, je pouvais errer dans les couloirs du lycée.

« P’tain ! C’est quoi cette arnarque ?! » Je tapais brusquement dans la vitre de la machine distributrice. Le sac de chips était resté coincé et me narguait. J’essayais de bouger la machine, mais fus à peine capable de la déplacer. Personne en vue dans le couloir et donc personne pour m’aider. J’appuyais plusieurs fois sur le petit bouton gris. Rien n’y fut. Le sac ne bougeait pas et mon argent ne revenait pas. 2, 50$ de gaspiller pour voir un anneau tourner et se bloquer. Quelle attraction excitante. Je poussais un grognement avant de me détourner et de marcher à pas lents vers la cafétéria. Moi qui espérait ne pas y passer, j’allais devoir me taper toute une file d’attente d’étudiants affamés avant de devoir choisir entre un burger végétarien dégoulinant d’une sauce répugnante ou un steak pas assez cuit accompagné de charmants petits légumes verts à l’aspect peu désirable. J’avais le goût de gerber. Plateau en main, je me fis néanmoins rapidement servir et je ne reçus même pas un regard de la cantinière. De sa grosse louche, elle déposa une boule de pommes de terre pilées dans mon assiette avant de me servir de ces petits légumes mous et sans goût. Puis, vint le choix le plus difficile. « Qu’est-ce qu’tu prends ? » Être carnivore et attraper une quelconque maladie en mangeant un steak saignant. Ou plutôt opter pour le burger végétarien et faire honneur à ma confrérie de sauveurs d’animaux, mais avoir le goût de vomir mes tripes par la suite. « Le burger », répondis-je, mon ton neutre. Oh, j’allais me régaler.

Et alors que je me retournais, survient cet incident qui arrive dans tous les films américains de jeunes lycéennes écervelées. Dans mon mouvement de rotation trop brusque sur moi-même, mon plateau s’écrasa sur le chandail d’une jeune fille. La purée de patates dégoulina sur le chandail avant de commencer à couler sur son jean. Comme je reculais un peu pour enlever mon plateau, je sentis un liquide couler dans le bas de mon dos. Le karma s’était vengé. Je m’étais reculée et mon dos était allé renverser le jus d’un garçon qui pouffait de rire en voyant le liquide rouge foncé commencer à couler sur mon pantalon. Je me retournais à nouveau vers la jeune fille, une moue désolée au visage. « J’suis désolée… J’ai pas fait exprès. » Cette réplique était d’une médiocrité. Je ne pouvais qu’espérer que la jeune fille n’était pas rancunière.