Christodule ne rime pas avec Bidule.

Age : 13 ans
Date et lieu de naissance : Thessalonique, Grèce, le 28 juillet de l’année 1998
Classe : Freshman
Confrérie : Nu Zeta
Riche ou bourse d'étude ? Riche

« Je suis sûre que vous attendez tous l’explication relative au magnifique prénom que porte notre ami Christodule. Le jour de sa naissance, le 28 juillet, était fêté localement feu Christodule de Cassandra, ancien martyr de la ville, abattu par les Musulmans. Certes, ce n’est pas une raison, me direz-vous, pour accabler son fils d’un prénom tel que celui-ci. Sauf que cette année-là, 1998 précisément, fut aussi porté en triomphe par tout un peuple le nouveau primat de l’Église orthodoxe autocéphale de Grèce : Christodule 1ier d’Athènes. La mère de notre ami y vit un signe et nomma son fils… Christodule Papadopoulos de Thessalonique. Encore fut-il resté dans son pays, il aurait connu moins de problèmes ! Attention, je ne suis pas en train de dire qu’on ne veut pas de lui à Miami, mais qu’il ne vienne pas se plaindre chez nous si nos enfants se moquent de lui. Moi, je dis ça… je dis ça. Il connut une enfance paisible, sous le soleil hellénique. Ses parents étaient tous deux enfants d’agriculteurs, il était donc normal pour eux de reprendre le flambeau de leurs propres parents. Le jeune hellène était, lui aussi, voué à cette vie au milieu des oliviers. L’idée, notez-le, ne lui déplaisait absolument pas. Il n’avait jamais rien connu d’autre, alors pourquoi rêver à une vie qui lui était de toute manière inaccessible ?! Ses seuls amis étaient ses parents. D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi j’utilise l’imparfait : c’est toujours le cas ! La raison est simple : Chris’ fait partie de ces personnes souffrant d’aphasie. L’aphasie est une pathologie du système nerveux central, due à une lésion caractéristique d'une aire cérébrale. Lui-même est gravement atteint d’aphasie dite de Broca. Ses idées sont intactes dans sa tête mais sa pathologie avancée fait qu’il est incapable de les exprimer oralement. Les gens comme vous et moi le qualifieront de « muet », même si c’est un peu plus compliqué que ça. Malgré le fait qu’il se rende compte de sa différence, le garçonnet ne s’en trouva pas plus perturbé. Il « parle » la langue des signes couramment avec ses parents et comprend le grec moderne, aussi appelé romaïque, ainsi que l’anglais. Jusqu’à l’âge de ses 8 ans, sa vie fut plutôt paisible. Mais au cours de cette année-là, tout bascula. Sa mère acheta un billet à l’Euromillion. Comme ça, par hasard. Elle le faisait de temps en temps. Et le jackpot leur tomba dessus. L’animateur, sur leur petite télévision noir et blanc d’à peine 14 cm de diamètre, annonça un gagnant en Grèce. Ce fut pareil dans tous les autres pays d’Europe. Des milliers de personnes détestèrent la famille Papadopoulos quelques secondes, puis la publicité les fit instantanément oublier l’existence d’une petite famille grecque, perdue quelque part au milieu des oliveraies, qui venait de s’enrichir de 89 millions d’euros, d’un coup, comme ça, BAM. En l’espace de deux ans, les Papadopoulos connurent un déménagement vers la Capitale. Les parents cachèrent à tout le monde qu’ils étaient à présent riches à millions. Leur maison était simple, dans un premier temps. Mais bien vite, la sensation d’avoir de l’argent s’imposa et ils déménagèrent à nouveau pour une maison deux fois plus grande. En 2008, Christodule 1ier mourut. Notre Chris’ à nous le prit très mal, allez savoir pourquoi. Ses parents allèrent de lubies en lubies et finirent par commettre l’irréparable : déménager aux États-Unis. Leur fils était de plus en plus seul, tant ils ne se préoccupaient plus de lui. Il était devenu comme invisible, même s’il était comblé de cadeau. Le jour de ses 13 ans, il reçut une voiture. A l’heure actuelle, il n’en a toujours pas compris l’utilité, mais bref, passons. Jusqu’alors, il avait reçu une éducation plutôt sommaire, à la maison, avec des professeurs. Rien de glorieux. Aux USA, on rentre au lycée l’année de ses 14 ans. Chris’ allait bientôt les avoir, et ses parents perdirent leur dernière connexion neuronale le jour où ils l’inscrivirent dans une grande école prestigieuse pour enfants riches appelée Wynwood High School. « Tu te feras des amis », dirent-ils. Lui ne voyait pas ça sous cet angle : comment devenir ami avec des gens avec qui il ne pouvait même pas communiquer ? »

« Lors de son inscription à Wynwood, on lui demanda de choisir une confrérie. La conseillère d’orientation les lui présenta toutes et lui laissa ensuite la possibilité d’y réfléchir. Elle l’isola dans son bureau et partit se chercher un café, qu’elle dit. L’hellène raya immédiatement celle des Eta Iota : l’accès y était interdit pour les petits garçons, la question ne se posait donc pas. Surtout qu’il n’était pas particulièrement du genre coquet. Un enfant de 14 ans ayant grandi loin de la mode et tout ce qui s’y rapporte, somme toute. Il se pencha pour analyser les autres, une à une. Retrouver des lettres de son alphabet semblait étrange au gamin, qui ne comprenait pas ce qu’elles faisaient là. Ce n’était pas la seule chose qui lui échappait, à vrai dire. Christodule élimina ensuite les Khi Omikron, pour l’excellente raison suivante : il avait grandi sans aucune éducation et il savait à peine écrire, à cause de sa pathologie du système nerveux. Il n’avait presque aucun usage de sa main droite, puisque l’hémisphère gauche de son cerveau était le plus touché. Les Alpha Psy attirèrent un peu son attention. En effet, le gamin pouvait chanter. Le chant est contrôlé par l’hémisphère droit du cerveau, plus artistique, contrairement à la parole. Il avait suivi durant les deux années qui précédaient une thérapie par le chant. Il aimait entendre un son sortir de sa bouche, même si la plupart du temps, cela ne signifiait rien, les sons, les mots s’assemblaient sans distinction, sauf pour les chansons qu’il avait entendues énormément de fois. Mais à part ça, il ne se sentait pas artiste. Même avec ça, en fait, puisqu’il ne savait même pas s’il chantait bien. Bref, il renonça également et passa à la suivante. Les Sigma Mu. Sa vie durant, il avait suivi ses parents et leurs injonctions sans protester. Un vrai petit mouton. La rebelle-attitude, il ne connaissait pas et, de toute façon, ça ne l’intéressait pas : rappelons-le, ses parents étaient ses seuls camarades. Les trahir aurait été une opération de suicide social complet. Il se serait retrouvé seul au monde. Suivants : les Pi Sigma. Les filles ? Berk. A 14 ans, il était loin, très loin d’y penser. Il n’en avait même jamais fréquentées, c’est dire ! Pour Dieu seul sait quelle raison, sa mère avait toujours refusé les domestiques de sexe féminin. Dieu sait pourquoi… et monsieur son mari aussi : la jalousie maladive, on appelle ça. En revanche, à lui, ça lui échappait totalement. Restaient alors les Rho Kappa et les Nu Zeta. Petit, il s’était toujours beaucoup dépensé. Il aimait courir entre les rangées d’olivier, sous le soleil de plomb, mais… courir pour s’amuser et pratiquer un sport étaient deux choses bien différentes. Alors, il choisit de s’inscrire chez les « écolos ». Il s’y connaissait en agriculture, puisqu’il avait été un jour prévu qu’il reprenne la mini-exploitation de ses parents. De plus, il aimait ça. La récolte, le travail des olives pour en faire de l’huile, et tout ce qui s’y rattachait. Sans compter que son mutisme ne gênerait personne dans cette confrérie, à son avis. Ce qui n’était, en revanche, pas garanti chez les têtes brûlées des sportifs. Quand il avait fait la visite traditionnelle en compagnie de l’adjoint du directeur et de ses parents, Christodule était passé devant le bâtiment des Rho Kappa et les cris qui en provenaient l’avaient découragé par avance. Ils étaient bruyants, atrocement bruyants. Très peu pour lui. On l’avait également amené chez les Eta Iota… »

« Une fois dans la salle commune des « Bimbos », le téléphone du Directeur sonna. Il décrocha, parla quelques instants, puis demanda aux parents pour s’entretenir avec eux. Ils eurent le malheur de laisser Christodule en compagnie des quelques filles qui se trouvaient là. Persuadées qu’elles étaient qu’il ne comprenait pas un traitre mot de ce qu’elles disaient, elles s’en donnèrent à cœur joie et firent leurs commentaires hauts et forts. Lui, bien entendu, fut incapable d’ajouter quoi que ce soit. Il resta donc assis sur un fauteuil, perdu comme un petit malheureux, en entendant tout ce que ces filles disaient sur lui. « Il est tout chou, lui ! Tu trouves pas ?
- Vraiment pas, il a l’air endormi. Regarde ses paupières, elles tombent !
- En plus il est tout petit.
- Mais attends, idiote, il a 14 ans, c’est normal !
- Tu espères quoi ? On voit bien à sa tête qu’il ne sera jamais un play-boy. Même si ses grosses joues de bébé joufflu disparaissent, il gardera une tête ronde.
- Tu exagères. Je suis sûre que ses yeux bleus feront tomber les filles.
- Dans quel film ? Le seul grec qui fait tomber les filles ici, c’est Alecto. Et c’est pas un petit brun avec une grosse tête et un corps rachitique qui y changera quoi que ce soit.
- En parlant de ses cheveux, il est vraiment coiffé n’importe comment. Et ce look de paysan, mon Dieu !
- Hahaha, oui, c’est vrai ! Vous êtes sûres qu’il est riche ? Parce que ça s’voit pas du tout.
- Vous m’énervez, vous êtes vraiment dégueulasses. Moi, je le trouve adorable. En plus, son petit regard tristounet, ça vous donne pas envie de le prendre dans vos bras pour le consoler ? Vous êtes des monstres à ce point-là ? Sérieusement ?
- Sérieusement, Desi. Si ça t’amuse de jouer les saintes, libre à toi, mais nous on sera aux premières loges quand il se fera tabasser à la récréation. C’est la loi de la nature. Les gens beaux survivent, et les têtes de glands se font baiser. Hein petit, qu’t’as une tête de gland ?! Hahaha !
- Tu es immonde. Regarde-le, sa bouche est vraiment cute, toute rebondie et rosée. Moi je trouve ça trop chou, et je suis sûre qu’il a un beau sourire !
- Prenez une chambre, hahahaha ! ». Inutile de vous dire laquelle des trois Christodule remercia au fond de lui, tête baissée, les yeux braqués sur son pantalon en lin beige, importé directement de Grèce, qui avait coûté une petite fortune à ses parents. Enfin, pour des gens normaux, étant donné qu’ils étaient à présent multimillionnaires. Des vêtements en lin, il n’avait quasiment que ça, dans sa garde-robe. Quant à son sourire, les gens ne le verraient pas de sitôt, vu l’année atroce qui s’annonçait. »