« Parfois, elle tente de se souvenir.
Mais tout est flou, trop flou pour que ça ne lui revienne.
Il ne lui reste que quelques détails, seuls fragments restants d’une ancienne vie, de la vérité.
Au milieu de tout ce flou, elle se souvient avoir été aimée. Vraiment aimée. Pas comme aujourd’hui.
Elle à également le souvenir, d’une voix, une voix qui la hante depuis longtemps, une voix qui va de paire avec une phrase. « Je t’aime Célia ». Elle sait que ce n’est pas un souvenir de sa mère, ni même de l’un des compagnons de celle-ci : aucun d’entre eux ne lui a jamais dit « je t’aime ».
Et puis, parfois elle revoit des images, des images d’elle en pleurs, mais elle a oublié pourquoi, le souvenir d’un drame, sans savoir lequel exactement.
Et plus rien.
« Aujourd’hui est le premier jour du reste de ta vie… »
Mexico. Il fait chaud. Il lui manque. Qui ça ? Elle n’en a pas la moindre idée. Elle est triste mais elle ne sait pas pourquoi. Tout est flou. Encore. Ces souvenirs disparaissent et il ne reste que sa mère. Elle a un peu moins de neuf ans. Maman est là, son nouveau copain aussi. L’ancien est parti, il a emmené toute sa poudre blanche et tous les billets avec lui. Maman et le nouveau copain sont stressés, Célia le sait parce que maman lui serre la main beaucoup trop fort. Mais elle ne dit rien, non, il faut être sage, alors elle se tait.
« Parker ! Tu attends là, tu ne bouges pas ! » C’est la voix de maman, elle l’appelle toujours Parker, mais la petite blonde ignore pourquoi, elle sait que son nom est Célia, ça elle ne l’oubliera jamais. Pourtant, elle hoche la tête et elle reste là. Elle regarde les deux adultes entrer dans cette maison étrange et elle attend. Elle reste debout, contre le mur sans bouger pendant des heures et enfin maman ressort. Elle n’a pas l’air d’aller bien, elle a l’air en colère.
« Viens, Parker !». La petite s’exécute, elle reprend la main de sa mère et elle s’en va, elle ne parle pas. Elle ne parle presque jamais. Elle ne veut pas énerver maman. Elle se contente de penser et d’être sage. Parce que ça c’est important, être sage et obéir. Maman a trouvé de l’argent. Un petit appartement aussi. Il n’est pas terrible, mais au moins, elles ont une maison et Célia peut retourner à l’école. Elle aime bien l’école. Et elle arrive à avoir des bonnes notes. Maman à l’air de s’en moquer. Mais tant pis, c’est amusant l’école. Et puis, même si elle ne parle pas beaucoup, elle s’est fait quelques amis. Elle leur a même dit qu’elle s’appelait Célia, pas Parker, non, Célia. La maitresse a fini par l’apprendre et elle a été surprise. Mais elle en a parlé à maman et elle a été en colère. Très en colère. Tellement qu’elle a dit qu’il fallait partir de là. S’enfuir, encore. Pourquoi encore ? Elle n’en sait rien, elle a juste l’impression que ce n’est pas la première fois. Elle ne veut pas quitter Mexico, elle parle bien l’espagnol maintenant. Mais quand elle l’a avoué à maman, elle a fait une crise et elle s’est mise très en colère. Alors Célia a arrêté de parler et elle est partie.
« Grâce aux difficultés, on se découvre des qualités insoupçonnés. »
Londres. Célia à maintenant un peu plus de dix ans. Elle est assise par terre dans une ruelle sombre, un livre entre ses mains. Elle a froid. Elle a peur. Elle a faim. Mais elle ne peut pas bouger. Maman lui a dit d’attendre là. C’était il y a longtemps déjà, mais il faut obéir. Elle va revenir, Célia en est certaine. Elle revient toujours. Quand elle reviendra, elle sera surement dans un état bizarre, parce qu’elle aura été voir ses amis tout aussi étranges. Et puis elle l’emmènera et elles iront dans un foyer pour dormir. Elles n’ont plus d’argent, Maman ne prend même plus ses médicaments pour sa maladie. Du coup elle est souvent énervée, elle a des réactions illogiques et elle fait peur. Elle entends des voix, des voix qui lui disent de faire des choses, du mal. Célia est effrayée, mais elle n’a que dix ans et il s’agit de sa mère, alors elle fait ce qu’elle peut pour l’aider, elle l’aime pour deux, elle est sage et souvent, elle fait la manche après l’école pour avoir un peu d’argent. Ses yeux son fixés sur le livre, mais elle ne lit pas, il y a peu de temps, elle a trouvé une photo. Celle d’un garçon avec de grands yeux bleus, le même bleu que ceux de maman. Bien sûr elle n’a pas osé en parler à maman. Mais ce garçon lui dit quelque chose, sauf qu’encore un fois, elle ne sait pas quoi. Alors, souvent, quand maman la laisse seule, elle prend cette photo et elle la regarde pendant des heures en essayant de se souvenir, en vain.
« On croit que les rêves, c’est fait pour se réaliser. C'est ça, le problème des rêves : c’est que c’est fait pour être rêvé. »
Miami. Little Haiti. Fini les foyers. Fini Londres Bonjour la Floride. Célia aura bientôt 13 ans. Couchée sur un matelas à même le sol, elle regarde le plafond miteux de sa « chambre ». Dans cette pièce, il n’y a que ce matelas, un sac de voyage à l’intérieur duquel tous les vêtements de Célia sont rangés, quelques livres volés et un petit cadre. Célia, l’a acheté toute seule, en gardant quelques centimes chaque fois qu’elle faisait la manche. A l’intérieur du petit cadre en bois, une photo, celle d’un garçon aux yeux de la même couleur que ceux de sa mère… Ce garçon hante à présent ces pensées nuits et jours et elle a parfois l’impression de devenir folle. N’est-ce pas son destin après tout ? Maman l’est, elle. Célia va toujours à l’école et rapporte toujours de bonnes notes, cependant, sa façon de penser à changer, aujourd’hui, si elle a de bons résultats scolaires, ce n’est plus pour faire plaisir à Maman qui s’en moque totalement de toute façon. Non, c’est pour elle, pour avoir une meilleure vie que celle qu’elle a à présent, pour ne plus avoir peur tout le temps de sortir à cause du quartier mal famé et des gangs qui y traîne, pour ne plus craindre de se faire tuer à chaque coin de rue et surtout, pour s’installer dans une vraie maison quelque part et ne plus jamais, jamais déménager. Célia a beaucoup travaillé pour tout ça. Et comme elle va bientôt rentré au lycée, elle a envoyé sa candidature à plusieurs lycées privés, comme ça, pour voir. Elle a reçu plusieurs réponses positives, elle a droit à des bourses dans plusieurs établissement. Seulement, elle a un gros obstacle : maman. Et puisqu’elle refuse d’accepter que Célia aille dans l’un de ces lycées, elle n’ira pas.
« La plus grande difficulté n'est pas tant de prendre des décisions que de les assumer. »
Célia a une vie, plus ou moins bien rangée, même si elle est des plus imparfaites et puis un jour, tout bascule. Un jour, des hommes frappent à leur porte pour emmener sa schizophrène de mère là où elle pourra être soignée, dans un hôpital psychiatrique. Célia a peur, elle ne veut pas être l’une de ses enfants dans un foyer où il y en a déjà trop. Elle ne veut pas de famille d’accueil, si elle a une famille, se sera la sienne, pas une autre. Alors elle se cache. Et une nouvelle fois, elle se retrouve seule. Elle n’a que treize et demi. Elle est effrayée et surtout, cette fois maman ne viendra pas la chercher. Elle réfléchit, longtemps, très longtemps et finalement, elle prend une décision. Elle est assez débrouillarde, elle n’a pas réellement besoin d’adulte, elle a l’habitude de ne pas être encadrée car en réalité, elle a très souvent été seule dans sa courte vie. Alors elle prend des bus et enfin, elle arrive là où elle avait décidé d’aller : Wynwood. Maman avait dit non, mais pour la première fois, elle désobéit, elle a droit à une bourse et à une chambre et elle ne sera plus seule. Et puis… Maman n’est plus là.
Cela fait presque un an qu’elle est à Wynwood maintenant et elle s’y plait vraiment bien. Finalement, maman est sortie de l’hôpital il y a peu, soit disant guérie et avec un nouveau traitement flambant neuf. Elle était fâchée de voir que Célia avait désobéi, mais contre toute attente, elle a accepté qu’elle reste. Peut-être que le nouveau traitement fonctionne, finalement. Du coup, Célia peut enfin être « libre », elle n’a plus sa mère avec elle vingt quatre heures sur vingt quatre pour lui donner des ordres et elle peut enfin vivre sa vie sans galère et sans crainte. Ce qui en soit et une bonne chose. Sauf que ce lycée, pourrait bien apporter bien plus à Célia que ce qu’elle espérait. »