Eliott Charles Mercier

« Seule une lueur éblouissante éclairait le fond du long corridor, de telle sorte que tout être qui s’y aventurerait serait perçu à contre-jour. Gris et sans artifice aucun, il n’y avait rien, nul objet qui attirait le regard en dehors de cette lumière étrange qui laissait penser que l’on se trouva aux portes de la mort elle-même. Mais une ombre aux formes insolites apparut soudain, au bout du couloir, une silhouette étonnamment petite, bizarrement large aussi... Et c’est avec un bruit étrange de cliquetis et de frottements qu’elle se mouvait d’une façon tout à fait inhabituelle… Mais la créature progressant au rythme régulier de ces sons rares, on distingua bientôt plus clairement l’origine de toutes ces bizarreries… Un homme au gabarit léger de toute évidence était juché sur un fauteuil roulant dont il actionnait les roues avec hardiesse de ses deux membres encore valides. Les bouts de caoutchouc blanc de ses chaussures en toile pénétrèrent alors dans un faisceau de lumière… On discerna le bas d’un jeans sombre mais délavé et déchiré au niveau des genoux, non pas par négligence mais par effet de style… Ses mains actionnant mécaniquement les roues de son engin, n’étaient pas très descriptibles car trop en mouvement… Le rai de clarté atteignit bientôt sa taille et on discerna une ceinture de cuir noire ornée d’une boucle métallique. On devinait une taille fine, une silhouette svelte malgré le fauteuil roulant… Il portait un T-shirt blanc rehaussé par des dessins noirs aux accents de graffitis des rues, mais l’œuvre était partiellement dissimulée par une veste de costume noir qu’il portait ouverte mais ajustée. Son menton se dévoila alors à la lumière… Carré, il était agrémenté d’une fossette en son milieu, détail qui accentuait peut-être sa masculinité… Le reste de son visage était pourtant des plus juvéniles… Ses lèvres légèrement rieuses n’étaient pas excessivement pulpeuses et sa commissure gauche avait une tendance certaine à se relever marquant un sourire mystérieux… Son nez ni très gros, ni trop fin n’avait pas de signe notoire… Mais ses yeux bleus aux reflets parfois verts ou gris avaient quelque chose de pénétrant, une lueur aiguisée et mordante de charme… Ses sourcils parfaitement dessinés ne faisaient qu’accentuer ce coté piquant… Enfin, ses cheveux, mi-long, étaient recouvert de gel et atteignaient le milieu de ses joues.. Il portait un chapeau qui lui donnait un aspect original, voir anecdotique…»

« Composée d’un unique bureau et de deux sièges, la pièce n’était éclairée que d’une petite lampe au bras articulée fixée à la surface plane du meuble. Sûr de lui et sans complexe aucun, le jeune homme poussa nonchalamment l’une des chaises pour laisser place au fauteuil roulant qui faisait partie intégrante de son existence depuis plusieurs années déjà… Silencieux et énigmatique, il attendait patiemment qu’on lui posa La question… Et l’interrogation ne tarda pas à être formulée : se décrire, décrypter son propre caractère par une introspective orale.

Affichant un sourire en coin, arme fétiche pour se rassurer et paraître tout à fait à l’aise, il réfléchit un instant en se frottant le menton et finit par s’éclaircir la voix avant d’entreprendre la difficile épreuve… Il exposa alors sa ligne de conduite qu’il qualifia de positive et joyeuse… Il s’efforçait de toujours paraître enjôleur et léger plus pour rassurer et tromper son entourage que par pure joie de vivre… Non, il avouait en toute honnêteté être calculateur, analyser le moindre indice dans le comportement d’autrui… Joueur, son passe-temps favori était celui d’interpréter des personnages dans la vie quotidienne ce qui le rendait souvent très énigmatique aux yeux de ses interlocuteurs qui ne savaient jamais vraiment sur quel pied danser face à lui… Il se savait manipulateur à ses heures perdues, lorsque les circonstances le permettaient… Mais plus que tout, c’était un séducteur qui appréciait la gente féminine sous toutes ses coutures… Et d’ailleurs, ce côté charmeur était utile dans bien des cas et ce, même avec les hommes parfois.. Le tout était de savoir se jouer d’autrui avec tact, expliquait-il… Avouant également tenir à son image, il s’efforçait de toujours soigner sa mise et d’éviter tout conflit superflu… Il n’aimait pas faire souffrir inutilement et se gardait de blesser la fierté d’autrui lorsque ce n’était pas nécessaire… En somme, il se décrivait comme un homme de bonne compagnie dans presque toutes les circonstances, quoique rarement sincère… Pourtant, il admettait être capable de s’attacher à certains êtres, chers à ses yeux… Et lorsque son cœur était conquis, il savait se montrer dévoué et loyal envers cette personne… Il se décrivit également comme un justicier moderne qui tentait à son niveau de rétablir un certain équilibre… L’injustice l’horripilant, il s’efforçait d’aider les plus faibles lorsqu’il en avait l’occasion… Légèrement narcissique, il avoua apprécier les compliments… En somme, il aimait être aimé même s’il refusait de s’attacher la plupart du temps… Perfectionniste, il admettait se montrer quelque peu maniaque par moment mais il était bien plus intransigeant avec lui-même qu’avec les autres, temporisa-t-il… Réfléchissant encore un instant, il se rappela aussi être capable de piquer des colères dignes de ce nom par moment… Notamment lorsqu’on le prenait en pitié à cause de son handicap et que son fauteuil roulant empêchait son interlocuteur de s’exprimer librement… Il conclu en avouant son manque de pudeur, autant physique que mental par moment… »

« Tapotant sur la table, son interlocuteur avait pris quelques notes avant de reporter son attention sur le sujet principal de cet interrogatoire… Affichant un sourire faux, il demanda au jeune homme de raconter son histoire… Chose à laquelle ce dernier s’était attendu autant que pour le reste… Grattant l’arrière de son crâne en même temps qu’il réfléchissait au meilleur moyen de débuter, il finit par toussoter avant d’entreprendre le récit… Aussi loin qu’il se souvenait, sa vie avait débuté lorsqu’il avait environ cinq ans… Bien sûr, il avait oublié certains passages, et son existence avant ce moment se rappelait à lui par quelques flashs insignifiants, comme la plupart des gens… On lui avait évidemment raconté qu’il était né en janvier, que l’accouchement avait été difficile, qu’il avait été un bébé turbulent, des détails dont il ne se souvenait pas et qui avaient peu d’importance… Son souvenir remontait à l’âge de ses cinq ans donc… Il se rappelait vivre dans une maison immense entourée d’un jardin gigantesque et très bien entretenu… Il se souvenait de Cathy, sa nounou, de Jasper, un labrador couleur chocolat, de Gaston, le majordome et de Laetitia, la cuisinière… Ses parents étaient rarement présents et le personnel de la maisonnée représentait bien plus sa famille que ces deux illustres inconnus… A ce qu’on lui avait raconté à l’époque, son père était ministre à l’Elysée et sa mère une avocate renommée et c’était toujours le cas actuellement d’ailleurs… Mais sa vie à ses cinq ans n’était faite que de rires et de petits plaisirs simples entouré de sa famille adoptive… Il grandit dans une atmosphère sereine… Bien sûr, il fit quelques bêtises, comme la plupart des petits garçons de son âge, mais rien de bien grave… Il avait eut un précepteur jusqu’à l’âge de 11 ans et avait par conséquent vécu dans une sphère assez restreinte, quoique la demeure familiale fût bien assez grande pour supporter toutes les excentricités d’un garçonnet… Mais lorsqu’il fêta ses onze ans, on décida qu’il était temps pour lui d’intégrer un collège, privé, cela va de soi ! Il se rappelait son premier jour là bas, terrifié à l’idée de quitter sa nounou, Jasper, Gaston et Laetitia mais en même temps fasciné par la perspective de découvrir tout un autre univers, pourtant bien fermé sur la réalité du monde… Il se fit rapidement des amis, devint tout aussi rapidement un des leaders de son collège… Populaire et apprécié, il s’adapta plutôt bien à la vie élitiste de ce petit monde à part… Il se souvenait parfaitement du jour où l’accident se produisit… Il devait avoir environ 14 ans lorsqu’il sortit seul du collège… Exceptionnellement, le chauffeur ne venait pas le chercher, il devait rentrer par ses propres moyens… Heureux de pouvoir enfin se promener sans surveillance dans les rues parisiennes, il s’était autorisé une escapade… Inattentif, il avait traversé une avenue sans prendre la peine de vérifier si la voie était libre… Un véhicule le faucha et il finit tout droit à l’hôpital… La rééducation fût longue par la suite et il ne parvenait pas à se souvenir d’une seule image où l’un de ses parents fût présent pour surmonter cette épreuve… Il sourit en désignant d’une main le fauteuil roulant qui lui fût dès lors attribué… Mais positif, il ne s’était jamais vraiment apitoyé sur son sort… Il était vivant et avait la vie devant lui, voilà comment il expliquait cette positivité apparente… Un jour, las de vivre dans la sphère fermée de l’élite parisienne, il décida sur un coup de tête de poursuivre ses études aux Etats-Unis… A Miami plus précisément… Ses parents ne firent pas d’histoires, ils n’en n’avaient pas fait jusque là de toute façon et il pu intégrer Wynwood High School moyennant une somme non négligeable… Voilà toute la petite histoire qui l’amena dans ce bureau étrange à raconter sa propre vie, plaisanta-t-il… »